Le défi d’une reconnaissance territoriale en reconstruction

Pendant près de trois siècles, l’industrie charbonnière a façonné un territoire. Son impact territorial paraissait durable, mais désindustrialisation et post-industrialisation ont été
synonymes de rupture.

Dans un premier temps, il s’agissait de rompre avec l’image d’un passé prestigieux construit autour de la mine et du mineur. C’est ainsi que certaines communes ont été tentées par un développement territorial innovant, à l’exemple de la réalisation d’une piste de ski sur un terril (Nœux-les-Mines). Progressivement, le passage d’une situation de rupture -à la fois sociale, paysagère, économique- à une reconnaissance du passé a entraîné un changement d’attitude soulignant la prise en compte de la dimension éthique dans les politiques de reconversion.

Les friches industrielles tendent à devenir objet de patrimonialisation, car porteuses d’histoire et sources de développement, notamment touristique. Ce changement d’attitude renvoie à l’inscription du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais sur la liste du Patrimoine mondial de l’humanité au titre de paysage culturel évolutif le 2 juillet 20121 , semblant produire une esthétisation du paysage2 .

Stratégies de conservation et construction d’une conscience territoriale

Ce “patrimoine encombrant” affiche de plus en plus une volonté de changement, à la fois changement de regard et changement d’échelle, et confirme une volonté d’ouverture avec l’opérateur mondialisant de l’Unesco impactant sur le tourisme, facteur d’attractivité, voire de créativité. Ces territoires en quête de reconversion alimentent la “fabrique du patrimoine”, devenu un référent du développement ou re-développement local et de l’ancrage identitaire. Cette forte patrimonialisation correspond en grande partie au développement de la mondialisation ressentie comme une menace. La thématique du patrimoine et de la mémoire envahit les discours politiques et aménagistes, et les constructions mémorielle et patrimoniale interagissent étroitement. L’industrie n’est plus exclusivement considérée sous son angle économique. Les vicissitudes liées à la désindustrialisation ont attribué à la mine -fer et charbon- de nouvelles valeurs qui lui permettent d’accéder à un statut inédit, celui de patrimoine.

Conjointement à la politique et à la stratégie de restauration du patrimoine, qui ambitionnent donc des labels d’excellence (Unesco), les grands projets urbains, et en particulier culturels, se multiplient avec le même souci de reconnaissance territoriale. Ils se veulent innovants et optent pour un urbanisme créatif, voire iconique, encourageant la promotion d’une image de marque. Le Nord-Pas-de-Calais devra réussir un double coup de projecteur en 2012 : son inscription Unesco et l’ouverture d’un Louvre à Lens, dont l’inauguration est prévue le 4 décembre. D’une certaine manière, cette reconnaissance internationale de l’histoire du bassin minier associée à la création du Louvre-Lens remet Lens et le Nord-Pas-de-Calais sur la carte. À titre d’exemple, à Lens, le marché immobilier est d’ores et déjà transformé par la perspective de la création du Louvre-Lens, les annonces indiquent “près du Louvre” comme une note valorisante. Le défi est important et la réalité de ces lieux reste à construire, mais le changement de perception du territoire semble engagé.

Recyclage du passé

La qualification “paysage culturel” appliquée au bassin minier nécessite de présenter l’action des diverses forces à l’œuvre dans l’industrialisation de l’exploitation minière. La présence d’une ressource naturelle et son exploitation sont à l’origine de la transformation par l’homme d’un paysage historique essentiellement rural, sur une durée de trois siècles au cours desquels l’activité s’est déplacée d’est en ouest tandis qu’évoluaient les techniques et les architectures. Les hommes ont modifié les caractères physiques de ce paysage en bouleversant la morphologie terrestre et en surimposant tous les éléments techniques, sociaux et architecturaux liés à l’extraction et à la production de charbon.

Le legs se compose aujourd’hui d’un palimpseste, héritier de cette histoire industrielle : les nombreux inventaires menés entre 2003 et 2009 ont permis de recenser plus de mille deux cents éléments de patrimoine minier sur l’ensemble du territoire. Après le travail de sélectivité mené dans un souci de représentativité et selon de multiples critères (intégrité, authenticité, architecture, urbanisme, histoire, géologie, géographie, diversité des paysages, état de conservation, protection et gestion), c’est 25 % de la totalité du patrimoine (trois cent cinquante-trois éléments) qui est retenu. Concernant les quatre-vingt-sept communes, le périmètre proposé inclut quelques hauts lieux de l’industrialisation, symbolisés par la diversité des chevalements, des terrils, des cités ouvrières, autrement dit un patrimoine technique, un patrimoine paysager, un héritage social : autant d’éléments qui ont codifié le paysage.

Le paysage culturel devient un enjeu reconnu, mais opposer la mort d’une activité au concept de paysage culturel évolutif vivant semble paradoxal. Cette situation illustre le passage vers une nouvelle approche : montrer que ce passé est vivant, qu’il est adaptable, qu’il est recyclable. Contribuera-t-elle à favoriser la place de la culture et du patrimoine minier et industriel au sein de perspectives de développement local et régional et le changement d’image du territoire ? L’approche mémorielle est certes processus d’identification, mais
est-ce pour le simple désir de durer ? Quel est le changement annoncé pour le Nord-Pas-de-Calais ? En d’autres termes, quels sont les projets qui accompagneront cette reconnaissance territoriale ?

Ce paysage culturel a atteint sa forme actuelle par association et en réponse à son environnement naturel3 . Comment qualifier son évolution ? Le caractère évolutif peut se résumer de manière un peu simple par l’articulation “du cadre de vue au cadre de vie” : les cités industrielles se présentant alors comme des vecteurs d’enjeux de paysage et la problématique de l’habiter nécessitant l’attrait du paysage. Cette fabrication de paysages -des terrils aux cités ouvrières en passant par les marqueurs emblématiques de l’industrie (les chevalements)- renvoie à la construction d’un ensemble avec ses spécificités qui permettent de marquer le territoire et ainsi au territoire de se démarquer. Au fur et à mesure de l’exploitation, la trilogie fosses-terrils-cités, cellule-mère du paysage culturel, s’est imposée comme schéma de développement du territoire, formant des unités et des ensembles architecturaux et urbains singuliers. Dans une étroite combinaison des éléments tangibles hérités de l’activité minière avec une culture et une mémoire encore vives, par un retournement de valeurs, ce patrimoine hérité de l’exploitation d’une ressource est en passe de devenir une des ressources d’un nouveau modèle de développement qui se veut durable.

Ainsi, au-delà des emblèmes paysagers, il y a la nécessité de formuler un cadre d’actions prenant acte des enjeux identitaires sur ces territoires. En tenant compte des types et caractéristiques des paysages industriels, de la qualification des formes tangibles et de celle des formes intangibles, de la mobilisation des regards experts comme des habitants et des visiteurs ainsi que des projets d’aménagement, il s’agira de construire l’identité conceptuelle de la notion de paysage culturel évolutif, permettant d’interroger les temporalités du paysage. C’est toute la question liée à la dé-fonctionnalisation/re-fonctionnalisation du territoire minier qui est en jeu. La réflexion entre mémoire et projet est plus que jamais mobilisée.

L’inscription du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais sur la liste du Patrimoine mondial de l’humanité -à laquelle il convient d’associer la création du Louvre à Lens- s’entend comme une construction en cours permettant d’aborder plus en profondeur les concepts d’ancrage et d’artefact territorial, de mémoire collective, de patrimoine industriel et parallèlement d’innovation territoriale. En attirant les regards alors qu’ils s’en détournaient du temps de son fonctionnement, le bassin minier souhaite acquérir et construire une légitimité plastique et culturelle. C’est ici plus qu’un terrain qui est questionné, c’est un type d’espace marqué par la volonté d’aborder le patrimoine et la création dans ses dimensions territoriales, sociales et politiques, qui se présente comme un révélateur de la transformation des sociétés et des dynamiques spatiales ; c’est aussi un type spécifique de patrimoine, qui renvoie à une valeur patrimoniale propre et en construction.

Édith FAGNONI
Maitre de Conférences HDR, Université Paris-Sorbonne (IUFM). Membre du Laboratoire ELREST (Équipe interdisciplinaire de recherche sur le tourisme), Université Paris I - Panthéon-Sorbonne

  1. Unesco, 36° session du comité du patrimoine mondial, du 24 juin au 6 juillet 2012, Saint-Pétersbourg.
  2. Cela concerne un vaste territoire de cent vingt kilomètres de long sur une largeur allant de quatre à vingt kilomètres, représentant quatre mille hectares (quatre-vingt-sept communes), auquel il convient d’ajouter une zone tampon (dite “zone de cohérence paysagère”) de l’ordre de dix-neuf mille hectares (cent vingt-quatre communes).
  3. Du Bassin Minier Unesco au Bassin Minier Uni en redevenant officiellement Bassin Minier Unesco : si le nom utilisé pour porter le dossier de candidature a été à ses débuts celui de Bassin Minier Unesco, il est devenu très vite Bassin Minier Uni (juin 2009), car l’usage du nom de l’organisation mondiale Unesco est réservé aux seuls sites et territoires déjà inscrits sur la Liste du Patrimoine mondial. Le Nord-Pas-de-Calais ne pouvait donc pas utiliser cette appellation le temps de la candidature en cours. Depuis le 2 juillet 2012, il peut désormais redevenir Bassin Minier Unesco.
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